jeudi 19 février 2015

Les phoques en Alaska


On a quasiment l’air de ça depuis des semaines : de phoques en Alaska, de pingouins du Grand Nord, d’ours blancs de l’Arctique. 

La complainte est étendue. Le réveil est brutal à chaque matin, les yeux collés rivés sur le thermostat. « Ostie qui fait frette! » Le temps gris, les arbres démunis, le ciel qui se prend pour un vieux motard à la barbe blanche, les trottoirs salés gelés. On s’arme d’une tuque doublée, d’un bon gros foulard et d’un manteau pour aller à la guerre hivernale. Dès le retour à la maison le soir, on s’emmitoufle dans une couette ou un vieux jogging réconfortant. Y’a pas à dire : 
« Mon pays ce n’est pas un pays, c’est l’hiver »!

Les sourires sont refroidis. Les yeux réfrigérés. Ça sent la mijoteuse dans les maisonnées. On n’aura jamais mangé autant de viande pour s’engraisser la chair. Enwwwoye les patates, en frites, en purée, en cubes, en gratin dauphinois pis au four, on se revigore les sens dans l’assiette. 

Coincés dans les bas-fonds de l’hiver, on essaie de se sortir de là du mieux que l’on peut. Même les amoureux du Général hiver en ont un peu marre de ce temps imperturbable. C’est bien beau se dire qu’il faut se coller pour se réchauffer, quand t’a qu’une peluche ou ton chat pour le faire, c’est moins brûlant.

Il y a pourtant un côté poétique à ce désert immaculé blanc. Les paysages glacés qui nous font plisser des yeux quand reluisants au soleil. Cet air pur qui, quand il entre dans nos poumons, nous donne envie de parcourir le monde. Ce n’est pas l’air humide de nos 40 degrés montréalais qui nous donne cette convoitise. Et puis sans cet air figé, on oublierait à quel point ça sent bon le bois qui brûle dans le foyer, on ne saurait plus à quoi ça goûte une soupe à l’oignon gratinée, on ne savourerait plus le plaisir de faire l’ange dans la neige, de se prendre pour une patineuse artistique sur la patinoire ou pour Crosby les patins aux pieds, de boire tisane après tisane pour se réchauffer l’intérieur. Ce n’est pas l’été qu’on peut s’enrouler dans une douillette pour lire un livre la tête perdue dans une infusion à lavande et Tulsi. Ahhhhhh et y’ont l’air de quoi les ti-cailles sans tuque quand il fait – 30? C’est pour ça que c’est si beau voir juste le bout du nez d’une personne emballée dans une parka. J’avoue que les jupes estivales ont probablement plus la cote auprès des hommes qu’une grosse doudoune d’hiver, mais bon à chaque saison ses beautés. 

« Putain faut que j’aille déblayer le char pis la cour! » Rien d’emballant. À moins de se dire que ça nous tient en forme et que ça nous fait prendre l’air. J’en entends déjà me crier par la tête : « Come on Karine, slaque un peu stie, rien de l’fun à se les geler! » Woin ok, mais le chocolat chaud aux guimauves est meilleur après du gros pelletage. On n’allume pas de chandelles l’été, à moins d’une panne due aux orages, mais l’hiver y’a des bougies d’allumées un peu partout dans les foyers et elles apaisent le moral. Heureusement me direz-vous. 

J’avoue qu’il est atrocement dur notre hiver. Aller jouer dehors n’est pratiquement pas possible tellement il fait froid. Même bien habillés. La face séchée par le vent glacial, les rides qui se creusent, les cernes qui virent au violet, les mains gercées, les cuisses qui piquent, le mascara qui coule, le teint verdâtre (pour ceux qui n’ont pas la chance d’aller roucouler dans le Sud), etc. Ce n’est pas jojo j’en conviens. Sans hiver, le printemps serait moins charmant. J’essaie d’être positive là.

Il ne faut pas lâcher. Accrochons-nous à un bonhomme de neige. N’essayer surtout pas de frencher un poteau de téléphone, ça risquerait de vous traumatiser. « Heureux d’un hiver qui me gèle la couenne », ça pourrait devenir un hit. J’ai essayé de porter du rouge hier pour me réchauffer, nan ça n’a pas fonctionné. On m’a même dit que j’avais l’air fatigué : Merci!

Je vous laisse sur ce coup d’œil par la fenêtre qui illustre un ciel qui pleure des flocons. Je vous laisse sacrer en paix. Je vous laisse vous réconforter comme vous le pouvez en attendant le pollen. Je vous laisse déprimer devant les téléromans, mais je ne vous laisse pas vous engloutir. Je vous réchauffe avec un bec. 

Bonne fin d’hiver.