jeudi 8 août 2013

Mon voisin, ce pianiste

J'ai envie de vous partager cette histoire. Non pas pour me vanter, pour passer pour l'héroïne de mon quartier ou pour une marchande de bonheur, mais afin de vous dire qu'il est parfois bon de suivre ses intuitions et de donner sans rien recevoir. D'offrir, avec plaisir. Je suis une personne très émotive et il m'est arrivé plusieurs fois de vivre ce genre de choses, en rendant service ou en faisant plaisir à quelqu'un. 

Voici cette belle et triste courte histoire.

J'avais un voisin, au sous-sol de mon immeuble. Il y habitait depuis plus de 30 ans. Je ne l'avais jamais vu depuis que je vis ici. Il vivait seul, malade, personne ne l'avait visité depuis plus de 20 ans si ce n'est que la personne qui vient lui faire son ménage de temps en temps et lui apporter quelques victuailles. Parole de mon propriétaire. Il est "Seul au monde" comme le titre du film.

Ça faisait un bon bout que je me disais, je dois aller le voir, ça me brisait le coeur de savoir qu'habitait près de nous un vieux monsieur sans ami, sans famille (sa fille ne lui avait plus rendu visite depuis 25 ans environ). Malade en sus. 

Je me suis décidée après en avoir parlé pendant longtemps, d'aller, ce jour-là, lui acheter un bon tiramisu et cogner à sa porte. C'était un jour d'août, soleil ardent. Sa porte moustiquaire était entre-ouverte, je cogne plusieurs fois et m'élance : Monsieur, je suis votre voisine du dernier étage, vous savez la petite madame avec le petit bébé! Il ne vient pas, je recogne. Puis soudain, je vois apparaître ce vieux monsieur, 85 ans, démuni, négligé, malade, tremblotant, les yeux tristes, les traits tirés, vêtu d'une vieille robe de chambre brune usée. Le coeur m'a fait trois tours, mais je lui ai souris tout de suite sans laisser paraître ma peine et mon étonnement.

" Bonjour monsieur, c'est moi votre voisine, nous n'avons jamais fait connaissance et je viens vous dire bonjour et vous apporter un bon gâteau. Dégustez-le, savourez-le, ça me fait plaisir. Je vous souhaite une belle matinée. À bientôt."

Mon voisin : " Bonjour... Mais vous êtes dont bien gentille. Merci, vous êtes dont bien gentille. Vous êtes dont bien gentille madame. Bonne journée, merci." - Me dit-il d'une voix tremblante. Il prit le gâteau dans ses petites mains frêles, vieilles et craintives. Il m'a sourit de ses yeux bleutés, meurtris.

Je suis revenue chez-moi et j'ai pleuré. Mon chum m'a serré fort et il m'a dit bravo ma chérie, tu as bien fait d'y aller, ça lui a sûrement fait un énorme plaisir.

Lundi suivant. Journée sous le soleil, toujours ardent. L'ambulance est là. La police aussi. Mon voisin est décédé. Ce petit monsieur habitant ici depuis plus de 30 ans est mort, tout fin seul. Je suis dévastée.

Ce jour-là, je fus la dernière personne qui l'ait vu avant qu'il se rende aux étoiles. Je lui ai fais plaisir. Il n'avait pas eu de visite depuis des années lumières. Je l'ai vu dans ses yeux ce matin-là que je le rendais heureux de ma visite.

Bizarre aussi que la semaine avant que je ne frappe à sa porte, sans jamais l'avoir vu, j'ai pensé qu'il allait bientôt mourir. J'ai été porter par mes émotions, mon intuition. J'avais décidé d'offrir une petite parcelle de bonheur à quelqu'un et c'était à lui que je voulais donner mon sourire ce jour-là.

J'ose espérer que je l'ai rendu heureux l'espace d'un instant. Je ne connais pas son prénom, mais j'ai désormais encrés dans ma mémoire ses petits yeux bleus fatigués, me souriant.

Il était pianiste.