Jade est
trentenaire. Elle fait des crises d’angoisse depuis l’adolescence et même, à
bien y réfléchir, elle pense qu’elle en faisait aussi toute jeune. Enfant, elle
a dû rapidement agir en adulte. Certains événements croisés sur sa route l’ont presque
obligée à grandir ainsi. Les nuits d’insomnie existaient déjà. La peur au
ventre et le cerveau qui virevoltait déjà tel un cerf-volant coincé dans un
vent de 100 km/h.
Les années
ont passé…
Jadis, entre
deux fourchées de foin, les gens souffraient dans leur tête, leur corps, leur
âme, mais ne connaissaient pas nécessairement l’ampleur des maladies mentales
comme l’anxiété généralisée, la dépression, les crises de panique, etc.
Des spasmes les envahissaient, sans savoir pourquoi. La
fatigue… une journée difficile à labourer les champs, 15 enfants à s’occuper,
trop d’arbres à bûcher. On imagine que c’était ça les raisons. On s’accrochait
à une soupe chaude le temps de diminuer les symptômes et on retournait
angoisser dans le noir ou vivre sa dépression en silence dans la grange.
Jade a des
hyènes dans la tête depuis toute petite. Elle est souvent en déroute. Perdue
dans la Savane où les hyènes se trouvent. Prise d’anxiété, Jade les entend rire
dans sa caboche. De leur rire démoniaque. Les hyènes la dominent, lui gruge
toute son énergie.
C’est comme
ça qu’elle exprime ses crises d’anxiété : des charognardes.
Dans la tête
de Jade, c’est souvent comme un remaniement ministériel qui n’a pas de sens. Ça
va de tous les côtés. À force d’être toujours là présente pour les autres, elle
s’est souvent oubliée. Elle a mené et mène encore parfois de front et à bout de
souffle tous les dossiers chauds de sa vie. Sa vie de couple, de mère, sa vie
professionnelle, les problèmes des autres, leurs dépendances, leurs
souffrances. Jamais d’accalmie ou presque parce que l’insomnie la gruge aussi à
petit feu. Ses endormissements sont atroces.
Jade aime la
vie. Elle ne se sent pas déprimée même si elle se lève le matin en serrant les dents,
se couche le soir en grinçant des dents. Cet essoufflement perpétuel aux
poumons, elle le vit constamment. Ça demande beaucoup de courage se propulser sur
ses deux guibolles le matin pour aller travailler. Le souffle court. La fatigue constante.
MAIS…
Jade se
connaît de mieux en mieux. S’écoute de plus en plus. Son introspection chemine.
Elle se gâte de temps en temps avec une journée de congé juste pour elle. Du
temps de qualité avec elle-même. Du repos, de la douceur, du calme, de la
relaxation. Du temps où, non pas par égoïsme, mais par survie, elle ne pense qu’à
elle.
Et la nature
l’accompagne. Les oiseaux lui chantent la bienvenue au parc, la neige qui vient
se déposer sur son nez est un instant de bonheur. Ses poumons souffrent moins d’asphyxie.
Son cœur se précipite de moins en moins, parce qu’elle assiste davantage au
concert du moment présent. Sa dose de moments présents est devenue plus forte et
les bienfaits sont magiques. Une panacée à ses angoisses odieuses.
Quand ses
orteils touchent le bout de la couette ou encore qu’elle savoure du granola
dans un yogourt nature nappé de sirop d’érable, c’est là qu’elle doit être et
pas ailleurs. Quand son fils se colle sur son cœur et qu’il lui dit qu’elle est
belle, quand elle tourbillonne sur elle-même les patins aux pieds, c’est aussi
là qu’elle doit être. Que l’ego aille au Diable!
Jade est
déjà morte plusieurs fois, mais a toujours renait de ses cendres. Elle a décidé
d’écouter son intérieur même si c’est particulièrement difficile. Avoir de l’empathie,
oui, mais ne pas couler avec ceux qui trainent leurs boulets aux pieds.
Les hyènes
sont encore là, toujours affamées, à la regarder et lui susurrer à l’oreille qu’elles
reviendront tôt ou tard, à un moment où elle s’y attendra le moins. Jade
apprend à les faire taire, mais elles sont féroces et tenaces en temps de fatigue.
C’est par la
confidence, la confiance, la lecture, le sport, la nature, l’amour, l’amitié, l’acceptation
et l’abandon que les hyènes finiront un jour, à se taire à jamais.