Dehors, lorsque la fumée des cheminées brûlait
l’air gelé, la neige craquelait sous les bottes, les stalactites s’accrochaient
aux cils et que le froid ciselait les joues ; dedans, il faisait chaud…
Elle sortait les chaudrons, tapissait son
corps d’un tablier bigarré et relevait ses cheveux en chignon. Prête pour que
s’installe le confort entre ses doigts arthritiques.
Il n’y avait pas que les pains dont elle
cuisinait à la perfection. Chauds sortis du four, à l’armure luisante, un
morceau de beurre y trouvait la joie d’une glissade parfaite. Son ragoût de
boulettes embrasait les papilles, et sa bouillabaisse parfumée au safran
faisait frémir de bonheur les langues.
L’hiver, elle coupait, hachait, lardait,
plumait, battait, éminçait pendant que ses petits-enfants s’époumonaient à se
construire des maisons avec la neige. De sa fenêtre givrée, elle leur souriait
tout en fourrant les éclairs de sa crème pâtissière. Une recette de sa mère
dont son mari en raffolait. À l’année, c’était sa tendre récompense après une
journée où il avait bûché le bois à s’en enfler les jointures ou à pelleter,
l’hiver, la longue galerie qui crissait sous la neige.
Et elle gratinait les lasagnes, parsemait les
gâteaux de fines paillettes d’amande comme on parcelle un récit de mots. Elle
pelait les patates à une vitesse improbable, plus vite que le battement d’ailes
d’un papillon. Les patates pilées devenaient douces et onctueuses, légères
comme la neige lorsqu’elle tombe tendrement.
Elle compotait la
marmelade avec des zestes très fins, mais son vrai secret jamais elle ne
l’avait dévoilé. Sur du pain chaud, orné de beurre mou, sa marmelade à l’orange
ragaillardissait les petits après une journée passée à patiner sur l’anneau de
glace.
Elle s’ébouillantait souvent, mais ça la rendait
encore plus guerrière devant la cuisinière. Chaque plat était un défi, chaque
fois réussi avec brio. Elle savait réconforter sa famille par l’odeur de ses
plats, longuement macérés. Grâce à cela, elle avait cette puissance qui la
faisait rayonner à la maison. Elle était celle qui rassemblait la famille tout
entière, la rendait joyeuse et attendrie.
Un œil sur les victuailles, pour qu’il n’en
manque jamais, elle regardait de l’autre, fièrement, ses amours s’empiffrer.
Était venu le temps de détacher son tablier et de lui dire à demain. Son corps
était fatigué, ses bras sensibles, mais elle était satisfaite. Elle était celle
qui faisait affluer les sourires et les confidences. On ne la remerciait pas
souvent, mais ça lui importait peu. Sa cuisine venait rendre un peu plus
estivaux les longs mois d’hiver. Le temps de défaire son chignon et de
s’asseoir en sirotant un thé à la bergamote, elle terminait souvent sa journée
en fermant les yeux posément. C’était mission accomplie.
Quel beau texte :) ça donne envie de cuisiner
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