jeudi 5 juin 2014

Coup de foudre à la buanderie

Ce matin là, Astrid ne pensait pas que sa laveuse allait la lâcher bêtement. Surtout pas! Elle avait besoin de certains vêtements pour partir en weekend avec une amie à Mont-Tremblant. Fuck le réparateur pour le moment, elle n'avait pas envie d'y passer son argent prévu pour son escapade spa. En regardant son panier à linge remplit de sa batche de noir, fallait absolument trouver une solution. Aller demander à sa proprio de faire une brassée?! Non, elle risquerait d'y passer la journée à se faire raconter de long en large tous les potins de la rue.

Une solution poche. Un seul choix s'impose : Aller à la buanderie la plus proche. En fait, en trouver une pas trop sale dans le coin serait aussi un critère important.

Astrid ne jugeait pas les gens qui vont faire leur lavage dans les buanderies, mais savait qu'il pouvait s'y trouver de tous les genres. Bizarrement, la gêne lui aspergea le front :
- Tout d'un coup que quelqu'un que je connais s'y trouve et qu'il croit que je n'ai pas de laveuse, que je suis faucher rare, que je suis une radine qui ne veut pas s'acheter d'électros. Franchement As, arrête-moi ça là ce jugement à deux cennes. T'es conne!

Elle se mis même à rêvasser au bel étalon qui pourrait s'y trouver. Tsé comme dans les films à l'eau de rose. Le bellâtre qui lave ses t-shirt trendy, l'air un peu nonchalant, café à la main, dents blanches Colgate, sourire enjôleur.

- Ahhhhhhhhhhhhh ça pourrait être vachement cool ça, de rencontrer le vrai mâle là-bas. Bon, ça suffit. Envoye la brave, fourre ton linge dans un sac de sport - pas vrai que je vais m'en aller là avec un sac à poubelle - et ne pas oublier une revue pour ne pas virer folle à regarder la laveuse spinner.

Ohlala dur dur ce changement de planning de ce jeudi matin ensoleillé. Elle qui croyait se la couler douce en mou chez-elle, boire son café tranquillement pendant que la laveuse allait faire son travail et se faire bronzer les rotules sur le balcon. Une fois arrivée à la buanderie, celle pas trop loin de chez-elle, à une quinzaine de minutes à pied, Astrid déposa ses 2 rouleaux de 25 sous pis son Gain senteur printanière.

- Ah pas trop pire comme endroit, j'imaginais pire, se dit-t-elle.

Quoique dans le coin gauche, au fond, une vieille fumeuse aux ongles jaunes et aux cheveux blancs fourchus aux pointes donnait des frissons dans le dos. Dans le coin droit, à l'opposé, une jeune étudiante aux boucles d'or, joues rosées, beaux grands yeux bleus. Astrid regardait tourbillonner ses strings dans la sécheuse, d'un air souriant.

- Elle se remémora ses années universitaires : Ah les joies de la vie étudiante. Pas un rond, à manger du frites congelées, à gratter les fonds de tiroir, mais j'avais une laveuse... Quoique non, putain, pendant 2 ans c'est vrai que j'en avais pas. Hahaha on oublie vite.

Quelques pages de revue plus tard, les vêtements étaient au cycle de rinçage. Lorsque soudainement, entra posément un homme dans la soixantaine avancée. Beau monsieur, petite barbe grisonnante, l'air gêné. À ce moment, Astrid commença à ressentir une montée glaciale lui envahir la colonne. Un coup de foudre en plein front, mais pas celui qu'elle s'était imaginé avant de partir.

- Ok. Calme-toi Astrid. Non, ce n'est pas possible, qu'est-ce qui m'arrive...

L'homme s'installa devant une machine, sortit ses vêtements. Ça allait de soi, il était à la bonne place pour les laver. Puis sortit un journal et s'assis à quelques mètres d'As. Il avait l'air calme, gentil. Il avait une besace de cuir qu'il portait en bandoulière. Et Astrid reconnu ce sac.

- C'est lui. C'est lui. Je crois que c'est lui. Dans la même buanderie que moi, ce n'est pas possible. à Montréal, nonnnnnnn. (Que la douleur est dure après avoir tant aimé...)

Astrid était là, planquée debout, à regarder par la fenêtre d'une vie passée garnie d'émotions tellement difficiles à vivre pour une petite fille. Des souvenirs enfouis dans le fond d'un tiroir, refoulés bien bien loin.

- Peut-être qu'après quelques secondes encore je le croirai vraiment.

La fragilité de cet homme l'a convainc de s'approcher doucement. Il était pris dans sa lecture, se remontant les manches de sa chemise bleu royal, machinalement. Elle, plongée dans un silence qui l'égorgeait. Un coup de foudre d'une décharge violente à la buanderie.

Un tête-à-tête entre laveuses et sécheuses.

- Monsieur Lavoie?

- Monsieur Lavoie se retourna. En voyant Astrid, ses yeux devinrent aussi grands que les pièces de 25 cents qui se trouvaient sur la table devant lui. Surpris. L'air content. Une pointe lumineuse mouillée près de l'oeil.

- Papa?!!!!

...

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